Conférence - 20/03/2026

LA MORT EN CORSE par Paul Simonpoli

Dans la période qui marque le passage du XIXe au XXe siècle, alors que la Corse est encore essentiellement un pays de villages d’agriculteurs et de bergers, la mort est toujours un évènement vécu et géré collectivement.

Qu’elle soit l’issue attendue et préparée d’une maladie, de la vieillesse ou le résultat imprévu d’un accident, d’un meurtre, d’un suicide, la mort est toujours vécue et pensée comme un ébranlement dans la communauté humaine où elle apparaît. Elle rompt la régularité des tâches quotidiennes, ravive les relations humaines, suspend les conflits. Parce qu’elle ouvre sur un monde radicalement autre que celui de la vie ordinaire elle introduit un désordre, un temps suspendu, un climat d’ambiguïté et d’étrangeté.

Parce que le XXe siècle fut une période de grandes mutations la mort aussi a changé. Elle est même un marqueur privilégié pour mesurer l’ampleur de ces mutations. La durée de la vie s’est allongée, les enfants connaissent donc beaucoup plus souvent et longtemps leurs grands-parents et la transmission entre générations est facile. Les affres de l’agonie sont de mieux en mieux maîtrisées et adoucies ; les enfants en bas âge que la mort emportait en sont presque tous épargnés ; en revanche cette mort qui était vécue comme une fatalité est devenue un malheur inacceptable. La guerre de 14-18, en multipliant les décès et en privant les familles et les villages de la possibilité de se livrer à un rite de lamentation qui prenait sa force et son sens dans le spectacle du corps présent, a sans doute contribué à la disparition du voceru. On meurt loin du village ou du quartier où on a vécu. Le thanatopracteur a pris le relai des femmes qui habillaient le mort. L’adoption de plus en plus fréquente de l’incinération transforme profondément le rapport dernier au défunt. Là où l’enterrement réunissait la communauté (on mesurait la notoriété du défunt à la longueur du cortège) elle substitue une cérémonie plus intime, en milieu fermé, et une inhumation discrète, voire même, par la dispersion des cendres, une dématérialisation totale. A ce dernier trait on peut mesurer l’ampleur des mutations.

Georges Ravis-Giordani



Dans son ouvrage abondamment illustré avec des images d'époque, La Mort en Corse. Agonie, trépas, veillée, Paul Simonpoli, ethnologue, sonde le rapport des insulaires des siècles passés à la mort. Ses analyses se fondent sur un long et minutieux travail de mémoire effectué de village en village. Un témoignage précieux.

Autrefois, à Pila-Canale, Ulmeto, Ventiseri, entre autres, on avait coutume de placer sous la tête ou bien sous le lit d'une personne à l'agonie un joug d'araire, a coppia, ou un fragment de celui-ci. Ailleurs, à travers la Cinarca et le Cruzzini c'est une pierre que l'on dépose.

À Azilone, Lopigna, Vezzani, Tralonca on veille aussi à ce que la tête du malheureux ne repose pas sur un coussin de plumes mais de crin. Ces attentions, ces gestes très symboliques visent tous la même chose, aider le mourant sur son lit de mort à trouver au plus vite la paix éternelle, à une époque où les soins palliatifs et la fin de vie étaient des notions inconnues.

Ces traditions font partie des rituels de jadis que convoque, l'ethnologue Paul Simonpoli dans son ouvrage La mort en Corse. Agonie, trépas, veillée publié aux éditions omi e lochi.

[Corse-Matin du 31.10.2025 Véronique Emmanuelli - Crédit photo Fanny Hamard]

> Rendez-vous le vendredi 20 mars 2026 à 18h00 à la Poudrière (la citadelle).

Attention, réservation conseillée, jauge limitée.

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